La formation en alternance épinglée par la Cour des Comptes
La Cour des comptes a publié un rapport ce 23 juin sur les effets de la réforme de l’alternance lancée en 2018. Entre gouffre financier, fin des aides exceptionnelles pour les apprentis, réforme du dispositif, la Haute juridiction financière pointe du doigt les anomalies d »une réforme qui se voulait pourtant pérenne.
La formation en alternance constitue une mesure phare de lutte contre le chômage des jeunes, en améliorant l’insertion professionnelle des moins qualifiés d’entre eux. La dernière réforme de l’alternance, résultant de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, en a profondément modifié le pilotage et le financement. Les juridictions financières dressent un premier bilan de ces mesures au plan national qu’elles illustrent par des enquêtes menées dans cinq régions.
Favorisé par les aides exceptionnelles versées aux employeurs d’alternants depuis l’été 2020, l’essor sans précédent des entrées en apprentissage – + 98 % depuis 2019 – a surtout concerné les formations après le baccalauréat, destinées à des étudiants pourtant moins concernés par les difficultés d’insertion sur le marché du travail que les jeunes de niveau CAP ou baccalauréat. Cet essor a entraîné plus qu’un doublement des dépenses associées, qui devraient atteindre 11,3 Md€ en 2021, en grande partie à l’origine de l’impasse financière que connaît actuellement le système d’alternance et de formation professionnelle.
Malgré son ampleur et son coût, le développement de l’alternance (avec près de 800 000 nouveaux contrats en 2021) semble n »avoir apporté pas suffisamment de réponses aux jeunes en situation de fragilité, ni aux entreprises rencontrant des difficultés de recrutement et ne permet pas assez de prendre en compte les besoins spécifiques des territoires.
Dans ces conditions, les juridictions financières ont formulé dans leur rapport dix recommandations, invitant notamment les pouvoirs publics à élaborer une stratégie nationale pour l’alternance comportant des objectifs et des modalités de financement cohérents.
Financement de l’apprentissage
- Supprimer les exonérations spécifiques d’assiette de taxe d’apprentissage non justifiées et mettre fin au taux modéré en vigueur dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de Moselle (Ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion, ministère chargé des comptes publics).
- Définir une stratégie nationale de l’alternance identifiant les objectifs prioritaires de développement et en déduire la stratégie de financement correspondante (Ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion, ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, ministère chargé des comptes publics).
- Redéfinir pour la rentrée 2022 les niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage en :
- définissant les niveaux recommandés par France compétences au plus près du coût de revient des diplômes ;
- imposant aux branches professionnelles de justifier tout écart à ce niveau ;
- modulant à la baisse les niveaux de prise en charge correspondant à la formation d’apprentis accueillis au sein d’établissements bénéficiant de financements publics ;
- et proportionner le financement effectif des CFA à la durée de la formation et non à la durée du contrat d’apprentissage (Ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion, France compétences).
- Mettre fin aux aides exceptionnelles versées aux employeurs d’alternants (Ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion, ministère chargé des comptes publics).
Développement de l’entrée en apprentissage des populations cibles
- Afin de favoriser les entrées en apprentissage des jeunes d’âge scolaire, adapter et développer les mesures qui leur sont destinées en matière d’information et d’orientation, d’accompagnement personnalisé et d’aides à la mobilité (Ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion, ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, régions).
- Conforter le rôle des établissements scolaires dans l’appui à l’orientation vers l’apprentissage, en incitant les enseignants à développer des relations avec les chambres consulaires et les CFA et à faciliter la promotion des métiers dans les collèges, notamment dans les établissements classés en REP ou REP+ (Ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, régions).
Adéquation et qualité de l’offre de formation
- Charger les régions d’organiser une concertation annuelle avec les opérateurs de compétences et les branches professionnelles concernant :
- l’identification des filières de formation à soutenir par le biais de l’enveloppe régionale d’aménagement du territoire ;
- le choix des projets d’investissement à cofinancer par les régions et les opérateurs de compétences (Ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion, régions, opérateurs de compétences).
- Ajuster les enveloppes régionales affectées à l’investissement en tenant compte de l’évolution des effectifs en apprentissage (Ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion).
- Mettre en place un plan d’action pour assurer le contrôle de la qualité pédagogique des formations en apprentissage(Ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion, ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche).
Pilotage et gestion
- Prévoir dans toutes les conventions liant l’État aux opérateurs de compétences des stipulations visant à uniformiser les procédures de gestion administrative et financière des contrats d’apprentissage, et à permettre l’interopérabilité avec les systèmes d’information des CFA(Ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion, Opco).
France compétences pointé du doigt
Parallèlement à cette enquête, la Cour des comptes a contrôlé France compétences, établissement public créé au 1er janvier 2019 notamment pour assurer la régulation et le financement de la formation professionnelle et de l’alternance.
Dès la première année, l’établissement a vu sa situation financière se dégrader ; les difficultés croissantes constatées en 2020 et 2021, tiennent principalement à l’insuffisance de ressources pour financer l’essor de l’apprentissage et du compte personnel de formation, insuffisance aggravée par les conséquences de la crise sanitaire. La dynamique de l’apprentissage et du compte personnel de formation (CPF), qui constituent les deux principaux postes de dépenses de France compétences, devrait se poursuivre en 2022, plaçant l’établissement dans une situation préoccupante.
Dès 2020, l’opérateur a connu un déficit de 4,6 Md€. Malgré des subventions exceptionnelles versées par l’État pour 2,75 Md€, le déficit serait au final de 3,2 Md€ en 2021 et pourrait approcher 5,9 Md€ en 2022 sans nouvelle mesure exceptionnelle de l’État (pour des recettes estimées à 9,6 Md€). Face à l’ampleur du déséquilibre financier, les moyens de régulation dont dispose l’établissement montrent leurs limites ; la situation de l’opérateur appelle des mesures fortes de la part de l’État pour maîtriser les dépenses et ajuster les recettes.
Afin de consolider le financement de l’établissement et, plus généralement la réforme de 2018, l’État doit définir, avec l »établissement, une trajectoire financière pluriannuelle adaptée aux choix stratégiques et conduisant au rétablissement de la situation financière.
Pour ce faire, plusieurs leviers d »action doivent être mobilisés, comme la baisse des niveaux de financement des contrats d »apprentissage et le resserrement du compte personnel de formation sur les formations les plus qualifiantes. Il est également souhaitable de mieux proportionner le montant de la contribution financière de France compétences en faveur de la formation des demandeurs d »emploi.
La Cour formule quatre recommandations dans son référé sur France compétences :
Recommandation n° 1 : (ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion; France compétences) : inscrire dans la prochaine convention d’objectifs et de performance (2023-2025) une trajectoire financière pluriannuelle soutenable, assortie des principaux leviers pour y parvenir en dépenses et en recettes ;
Recommandation n° 2 : (ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion) : recentrer les financements au titre du compte personnel de formation sur les formations les plus qualifiantes pour répondre à l’objectif initial du dispositif;
Recommandation n° 3 : (ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion) : instaurer une participation modulable des bénéficiaires des formations financées dans le cadre du compte personnel de formation ;
Recommandation n° 4 : (ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion: ministère délégué chargé des comptes publics) : adapter le montant et le rythme des versements de France compétences à l’État, au titre de la formation des demandeurs d’emploi, à leur consommation réelle.